Le cheval est dans le pré
Après la mort de notre fidèle jument islandaise (à plus de 31 ans !), le pré autour de notre maison gasconne semblait bien vide. A notre âge (autour de la soixantaine), mon mari et moi n’imaginions pas que quelques mois plus tard nous nous lancerions dans la possession de deux juments de Mérens. Repeupler le petit pré, d’accord, mais nous pensions à un ou deux vieux poneys retraités, que nous sauverions vaillamment d’une mort indigne à la boucherie. En tous cas, le mieux serait de trouver une race adaptée au climat du Sud-Ouest donc nous nous sommes mis à la recherche sur Internet.
Notre attention fut vite attirée par les Mérens. Puis à partir de listes de chevaux à la vente, on a trouvé plusieurs sites d’éleveurs. Revenant d’un voyage, nous avons décidé de faire un petit détour pour visiter le Haras Picard du Sant à Lasserre, en Ariège, dont la description nous avait attirés le plus parce qu’il parlait nature, homéopathie, éthologie. Et c’est ainsi qu’un dimanche après-midi, arrivés sans prévenir, nous avons fait la connaissance de Jean-Louis Savignol, qui justement s’apprêtait à partir soigner son troupeau. Nous l’avons suivi, il nous a montré ses chevaux. La fin de l’histoire est inévitable : nous avons été séduits par ces beaux animaux pleins de vigueur, de bonne humeur, de gentillesse. Dès le jour de leur naissance, ils ont été élevés dans la confiance de l’humain et selon la méthode élaborée par Pat Parelli (dressage éthologique). A nos yeux, c’était un point de plus en leur faveur et nous avions bien envie de choisir une de ces belles bêtes tout de suite… mais on n’achète pas des chevaux comme des petits pains !
Pour commencer, Jean-Louis et Christine Savignol veulent s’assurer que leurs chéris passeront en de bonnes mains. Tandis que vous pensez vous renseigner, vous commencez à vous rendre compte que c’est vous qui êtes interrogés ! Tout cela bien gentiment, rassurez-vous.
En quelle compagnie se trouvera votre cheval ? Pas question de garder un cheval solitaire, ce qui d’ailleurs est illégal dans certains pays civilisés. Il vous faudra au moins installer un âne ou même une chèvre à ses côtés. Quant à l’idée d’un vieil animal à la retraite qu’il faut sauver du boucher, ce n’est pas ici qu’on en trouvera. Jean-Louis garde les siens et les occupe à enseigner les bonnes manières aux jeunes chevaux. Mais ne craignez pas de choisir des jeunes chevaux, s’ils sont bien élevés ils ne sont pas difficiles. Voulez-vous faire de l’équitation, de l’attelage, des randonnées ? A vrai dire, nous n’y avons pas encore pensé.
De retour chez nous, le lendemain, les solutions se présentent sans peine. Qu’y-a-t’il de plus beau qu’un Mérens ? Deux Mérens, évidemment ! Et des jeunes, pourquoi pas. Jean-Louis nous invite à passer une journée entière avec lui pour approfondir notre connaissance (dans tous les sens du mot). Cela lui donne aussi l’occasion de voir comment nous nous comportons vis-à-vis des chevaux qui sont à la vente. Belle journée, excellente compagnie -humaine et animale- mais la combinaison idéale n’est pas encore trouvée. Nous retournerons donc une fois de plus.
Le rendez-vous est début mai à Mirepoix, où une vingtaine de poulains de trois ans, dont huit du Haras Picard du Sant, sont présentés au label loisir des Haras nationaux. Cette année, pour la première fois dans l’histoire du Mérens, quatre d’entre eux sont montés à la façon éthologique, donc au licol. Pour un bon nombre de spectateurs c’est l’émerveillement : il est donc possible de faire de l’équitation sans avoir recours à la contrainte du mords ? Mais oui, voyez comme la cavalière, Benjamine d’Amonville*, les maîtrise bien, regardez la confiance avec laquelle ils obéissent à la légère pression de ses genoux, comme ils comprennent bien où elle veut les mener ! Tous quatre obtiennent le label loisir. Quant à nous, nous sommes encore plus impressionnés par les chevaux noirs des Pyrénées qu’auparavant, mais ceux "de Lasserre" sont toujours nos préférés. Les épreuves terminées, nous suivons Jean-Louis au Haras Picard du Sant, où nous passerons les deux jours suivants. Aboutirons-nous au bout de notre requête ? Nous l’espérons plus que jamais.
Le lendemain, premier essai avec Upsa et Ucla, deux pouliches que nous avons pu admirer la veille. Elles se montrent de bonne humeur, quoique quelque peu éprouvées par notre maladresse. Heureusement Jean-Louis estime que nous réussirons à apprendre comment travailler avec elles selon la méthode Parelli. Nous faisons également un essai avec Ujike et Silk, mais déjà un courant est passé entre nous et les deux premières. Début d’un grand amour ? Elles sont venues chez nous il y a deux mois, et nous ne pouvons plus nous imaginer notre vie sans elles. Que faisions nous donc toute la journée avant leur arrivée ? Notre temps semble être dominé par nos deux belles, et nous ne le regrettons pas ! Elles ont vite pris leurs petites habitudes et sont surtout très contentes de l’accès libre à l’écurie où elles se mettent à l’abri de la chaleur, ne sortant que pour prendre quelques bouffées d’herbe ou quand il fait frais dehors. Quand il fait vraiment très chaud, elles restent donc toute la journée à l’intérieur sans se gêner pour tout salir ! Elles se sont accoutumées au poules et à nos chiens, toutes les bestioles tournant autour d’elles pour se régaler du fumier…
Oui, cela nous plaît, mais si on veut avoir des chevaux chez soi, il faut se rendre compte qu’on s’engage à temps entier. Ce n’est pas de tout repos, il faut être disposé à changer son mode de vie, apprendre afin d’acquérir de l’autorité, et savoir montrer à ses charges que vous êtes les responsables auxquels elles peuvent se fier. Les Mérens, si doux qu’ils soient, sont capables de n’en faire qu’à leur tête si on les laisse faire. Nos filles sont même déjà sorties toutes seules un jour, sous nos yeux (!), à la recherche sans doute de prairies plus vertes. Heureusement, comme c’est la sécheresse partout elles ont bien voulu revenir avec moi quand je les ai retrouvées à quelques kilomètres de la maison. J’étais bien trop contente de les revoir, et bien trop hors de souffle après avoir parcouru les environs pendant près de deux heures, pour les gronder- ce qu’il ne faut d’ailleurs jamais faire : les chevaux ne pensent pas comme des humains se fâcher ne servirait à rien. De toute façon, elles sont bien trop mignonnes, ces deux belles juments dans notre pré !
Christiane Slingenberg-Arriëns
Saint-Arailles (Gers)
* Benjamine d’Amonville, enseignante diplômée d’état BPJEPS, éducateur équin en éthologie (formation au Haras de la Cense)
06 12 17 36 41 benja.damonville@gmail.com